La Déclaration et le Programme d’action de Pékin fêtent leur 25e anniversaire en 2020. Ils ont posé le cadre politique et les objectifs de la communauté internationale pour instaurer l’égalité des femmes et des hommes et les droits humains des femmes et des filles, partout dans le monde [1]. La 64e Commission de la condition de la femme des Nations-Unies (CSW64) de mars 2020 a pour thème « Pékin+25 ».
Cette Commission est le plus important processus annuel d’examen des progrès et des défis en matière de réalisation des droits humains des femmes, d’égalité des sexes et d’autonomisation de toutes les femmes et les filles. Celle de cette année sera le moment pour ses États membres d’évaluer la mise en œuvre des engagements pris il y a 25 ans, d’examiner les défis anciens et nouveaux, et de faire le point sur sa contribution aux objectifs de développement durable sous l’angle du genre.
De plus, elle rassemble les gouvernements, les agences des Nations Unies et la société civile dans toute sa diversité pour discuter, débattre et collaborer sur les moyens d’accélérer les progrès et de s’engager dans des actions qui permettront d’atteindre ces objectifs communs.
LE PLUS GRAND RASSEMBLEMENT MONDIAL POUR LES DROITS DES FEMMES POSTPOSÉ EN RAISON DU CORONAVIRUS
Malheureusement, en raison de la classification par l’OMS de l’épidémie comme une urgence sanitaire internationale de niveau 4, le Secrétaire général des Nations Unies a recommandé aux États membres de modifier le format de la 64e Commission de la condition de la femme. Il a donc été décidé le 2 mars 2020 par les membres de cette Commission de limiter la 64e session à une réunion de procédure en date du 9 mars qui se focalisera sur l’adoption d’un projet de déclaration politique. La session sera ensuite suspendue jusqu’à nouvelle notification. Aucun débat général n’aura lieu et toutes les manifestations parallèles prévues par les États membres et le système des Nations unies en liaison avec la CSW64 seront annulées.
En amont de cette décision, près de 500 organisations féministes et de droits des femmes, avaient adressé une lettre aux responsables clés de l’ONU. Elles soutenaient le fait de donner la priorité à la santé mondiale et à la sécurité des personnes devant participer aux deux semaines du programme et avaient donc demandé que la Commission soit remise à une date ultérieure. Elles estimaient qu’une version réduite ne permettait pas leur pleine participation. Cela aurait par ailleurs laissé de côté de nombreuses activistes devant participer depuis l’Afrique, l’Amérique latine, l’Asie et le Pacifique.
LES INÉGALITÉS PERSISTENT MALGRÉ DES AVANCÉES
Le bilan pour l’égalité des sexes est alarmant à l’échelle globale malgré l’évolution positive de certains indicateurs relatifs à l’égalité femmes-hommes comme la diminution de la prévalence des mutilations génitales féminines et de la fréquence des mariages précoces, pour lesquels les chiffres restent néanmoins élevés. D’ailleurs, les violences restent un obstacle important à l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles. Les données de 106 pays révèlent que 18% des femmes et des filles âgées de 15 à 49 ans ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire au cours des 12 mois précédant la publication le 8 mai 2019 du Rapport du Secrétaire général faisant le point sur les objectifs de développement durable. Dans les pays les moins avancés, ce taux monte à 24% [2].
Les efforts déployés pour réaliser l’objectif 5 de développement durable consacré à l’égalité des sexes sont compromis. De plus, les 17 objectifs de développement durable ne peuvent être atteints si l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles demeurent lettre morte. L’indice du genre dans les ODD développé par Equal Measure 2030 révèle que pour 2019, environ 40% des filles et des femmes dans le monde, soit 1,4 milliard d’entre elles, vivent dans des pays où les résultats sont insuffisants en termes d’égalité de genre et que 1,4 milliard d’autres vivent dans des pays qui ont « à peine la moyenne » [3].
LES FEMMES CONTINUENT D’ÊTRE SOUS-REPRÉSENTÉES À TOUS LES NIVEAUX DE LA VIE POLITIQUE
Un quart seulement des parlementaires sont des femmes à travers le monde. À peine un cinquième des postes ministériels sont occupés par des femmes. Dans certains pays, les femmes ne sont pas du tout représentées. En outre, au cours des 50 dernières années, dans 85 des 153 pays étudiés, il n’y a jamais eu de femme Chef d’État [4].
Toutefois, 108 pays ont vu une amélioration de l’indice de participation politique des femmes grâce à une augmentation significative de leur nombre dans les parlements. L’Éthiopie, l’Espagne, le Mali, l’Albanie et le Mexique ont en commun une augmentation substantielle de la présence des femmes dans les institutions politiques. Au niveau régional, l’Afrique sub-saharienne et l’Amérique latine ont fait le plus de progrès pour réduire l’écart au niveau de la participation politique. Malgré cette évolution qui accélère le rythme des progrès vers la parité, cela prendra encore 94,5 ans pour combler l’écart entre les sexes si aucune action supplémentaire n’est prise [5].
LA PARTICIPATION ÉCONOMIQUE DES FEMMES STAGNE
En parallèle à l’amélioration de la représentation des femmes parmi les responsables politiques, le nombre de femmes occupant des postes de haut niveau a aussi augmenté. Au niveau mondial, 36 % des cadres supérieurs du secteur privé et des fonctionnaires du secteur public sont des femmes [6]. Malgré ces progrès, l’écart à combler en ce qui concerne la participation et les opportunités économiques reste de taille.
En effet, contrairement aux progrès lents mais positifs en termes de postes de direction, la participation des femmes au marché du travail stagne et les disparités financières sont en moyenne légèrement plus importantes que par le passé. En moyenne, un peu plus de la moitié, soit 55 % des femmes adultes sont présentes sur le marché du travail, contre 78 % des hommes. Plus de 40 % de l’écart salarial (le rapport entre le salaire d’une femme et celui d’un homme dans une position similaire) et plus de 50 % de l’écart de revenu (le rapport entre le total des revenus salariaux et non salariaux des femmes et celui des hommes) doivent encore être comblés [7]. En outre, dans de nombreux pays, les femmes sont considérablement désavantagées dans l’accès au crédit, à la terre ou aux produits financiers.
L’écart entre les sexes en ce qui concerne la participation et les opportunités économiques varie considérablement d’une région à l’autre. En Amérique du Nord, 76% des écarts ont été comblés jusqu’à présent, et 73% en Europe de l’Est et en Asie centrale, tandis que l’Asie du Sud (37%), le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (4 %) sont les régions où les femmes sont les plus défavorisées sur le lieu de travail [8].
LE FARDEAU DES SOINS NON-RÉMUNÉRÉS PÈSE PRINCIPALEMENT SUR LES FEMMES ET LES FILLES
S’occuper des enfants, des malades et des personnes âgées, faire le ménage, aller chercher du bois de chauffage et de l’eau, ou encore préparer les repas… jusqu’à 75% des soins non-rémunérés sont effectués par des femmes et des filles. D’après des données provenant de près de 90 pays, les femmes consacrent en moyenne environ trois fois plus d’heures par jour que les hommes aux soins et aux travaux domestiques non rémunérés [9]. D’après un calcul d’Oxfam, la valeur monétaire du travail de soins non rémunérés des femmes représente au moins 10.800 milliards de dollars chaque année, soit trois fois la valeur du secteur des technologies à l’échelle mondiale [10].
Le temps consacré aux soins ne peut être consacré à d’autres activités sociales, économiques ou politiques et peut contraindre la vie des femmes et des filles à la sphère privée de leur foyer. Lorsque cette pauvreté en temps s’ajoute à la pauvreté monétaire, cela réduit davantage les possibilités des femmes d’augmenter leurs revenus, les restreint à l’emploi informel et précaire ou aux marchés locaux où le pouvoir de négociation est limité, avec pour conséquence l’installation d’un cycle d’insécurité qui peut durer jusqu’à un âge avancé en raison du manque de protections sociale [11]. Cela renforce encore les inégalités socioéconomiques liées au genre.
Or, le travail non-rémunéré des femmes compense en grande partie les lacunes des services publics comme l’absence de services de garde d’enfants (crèches, accueil d’enfants à domicile, etc.) ou de soins aux personnes âgées [12]. D’après l’Organisation internationale du Travail, à l’horizon 2030, 100 millions de seniors supplémentaires et 100 millions d’enfants âgés de 6 à 14 ans supplémentaires nécessiteront un service de garde ou d’accompagnement dans le monde [13]. Les seniors auront besoin de soins plus intensifs et plus longs avec l’âge, mais actuellement les systèmes de soins de santé ne sont pas prêts pour cela [14].
En outre, les changements climatiques alourdissent les tâches liées aux soins non-rémunérés. À l’horizon 2025, près de 2,4 milliards de personnes pourraient vivre dans des zones où les réserves d’eau seront insuffisantes. Les filles et les femmes devront donc parcourir à pied davantage de distance pour collecter de l’eau. Les changements climatiques ont également un impact sur la sécurité alimentaire et les maladies, accentuant la pression et le temps demandé aux filles et aux femmes afin d’assurer la charge de soins supplémentaire qui en découle [15].
LES MOUVEMENTS FÉMINISTES EXIGENT UN CHANGEMENT DU SYSTÈME
Les mouvements féministes à travers le monde demandent un changement du système. Le slogan des féministes islandaises « Ne changeons pas les femmes, changeons la société ! » a été adapté lors des processus régionaux d’évaluation de la mise en œuvre des engagements de Pékin en « Feminists want system change [16] ».
Au cœur de leur message se trouve la conviction profonde que l’égalité ne peut se réaliser dans un monde où l’argent est la mesure centrale. L’égalité nécessite de construire une société où le respect et le bien-être de chaque être humain et de l’environnement en deviennent la pièce maitresse.
Ainsi, les revendications de la « Marche mondiale des femmes » s’ancrent dans la nécessité de changement de cap vers une politique socio-économique féministe qui soutienne les biens collectifs, les services publics, la protection sociale et l’autonomie économique des femmes.
L’EXEMPLE DE 8M, MOUVEMENT TRANSNATIONAL DE GRÈVE FÉMINISTE
Cette même conviction traverse 8M, un mouvement transnational de grève féministe représenté en Belgique par le collecti.e.f 8 maars. L’appel international à la grève féministe pour la journée du 8 mars a été lancé pour une première fois en 2017 et 55 pays y avaient alors participé.
Il s’inscrivait dans la suite de différentes grèves féministes nationales qui avaient eu lieu l’année précédente. En effet, en 2016, le mouvement des Czarny prostest se mobilise en Pologne contre les restrictions du droit à l’avortement, déjà très limité dans ce pays, et amène plusieurs milliers de femmes à faire grève et à manifester dans les rues. La même année, les féministes argentines imposent une heure d’arrêt de travail suite au féminicide de Lucia Perez largement relayé dans la presse. En octobre, des milliers d’Islandaises quittent leur lieu de travail deux heures plus tôt pour protester contre l’écart salarial.
En 2018, des millions de femmes et de personnes répondent à l’appel international de la grève féministe. Plus de 5 millions à travers 120 villes rien qu’en Espagne, ce qui paralyse le pays. Cette grève s’articule alors autour de 4 axes : grèves du travail domestique, du travail salarié, de l’éducation et de la consommation.
En 2019, le mouvement 8M continue de se renforcer dans le monde et arrive en Belgique à l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars. La Suisse suit en juin.
L’édition 2020 s’annonce tout aussi prometteuse que les années précédentes. De nouveaux pays rejoignent le mouvement, comme la France avec l’appel « On arrête toutes ». Et le Sud n’est pas en reste avec des évènements annoncés en Afrique du Sud, aux Philippines, au Bangladesh ou au Mexique.
En Belgique, Une manifestation nationale aura lieu le 8 mars et un appel à la grève féministe est lancé en Belgique pour les 8 et 9 mars sous la bannière « On s’arrête toutes, on arrêt tout, on s’arrête partout ! ». Les revendications touchent à la précarité économique, aux inégalités salariales, au travail de soin non rémunéré, au manque de services publics pour prendre le relais, aux politiques migratoires, aux discriminations, aux stéréotypes sexistes, à la santé et aux droits sexuels et reproductifs, aux violences et aux féminicides. Ces revendications se concluent par « Exigeons du respect, du changement et de réécrire ensemble les règles du jeu ».